Après les très bons Roberto Succo et Les Regrets, le réalisateur Français Cédric Kahn revient sur le devant de la scène avec un nouveau long-métrage: Vie Sauvage, une adaptation d’un fait divers marquant de ces dernières années: l’affaire Xavier Fortin. L’histoire d’une séparation douloureuse entre un père et une mère, sous le regard un peu candide de deux jeunes garçons. Durant onze années, Okyesa, Tsali et leur père Philippe se cacheront, menant une vie de marginaux au plus proche de la nature et de certains fondamentaux perdus.
Skript.fr a eu la chance de rencontrer le metteur en scène et partager quelques minutes et moments à ses côtés. Ainsi il nous parle sans langue de bois de cette nouvelle ( à tout les sens du terme ) expérience de cinéma en pleine nature
___________________________________________________________________________________
- La motivation.
« J’avais eu écho de cette affaire comme beaucoup, l’histoire m’a touché, j’ai tout de suite pensé qu’il fallait en faire un film. Il y avait des éléments de cinéma. L’histoire était émouvante, quel que soit le point de vue adopté: celui de la mère, du père … Le dilemme des enfants. Il y avait quelque chose d’universel. Et puis cette histoire de cavale emprunte d’utopies, d’idéologies , il y avait pour moi quelque chose proche d’un western contemporain, un western français. Et puis j’ai de l’estime pour cet univers, ces gens qui font ce choix, ce mode de vie différent et courageux. »
- La distance.
« Pour moi il est évident que les deux parents étaient responsables de cette situation. Prendre un parti ne m’aurait pas gêné. Ces garçons sont nés dans un choix impossible. Le film est construit du point de vue des enfants, avec ces onze années de distance avec leur mère. Et effectivement durant ces 11 années ils ne pensaient peut-être pas à elle. Mais ce sont des années d’absences qui ont laissé une trace. Ce n’est pas un film sur la mère. Il y a, aurait quelque chose à faire mais nous n’avons pas choisi cette piste. Nous avions au début beaucoup plus de scènes avec elle, mais il y avait une telle identification évidente dans ce personnage … Qu’il aurait pu manger, dévorer le film. Il fallait trouver un équilibre narratif. Dans cette histoire les enfants n’ont clairement pas été épargnés, et je ne pouvais m’identifier qu’à eux. J’étais à l’aise avec ce sujet, je viens aussi de ce milieu là, cela m’a aussi protégé de la caricature. »
- La durée.
« C’est un peu le défi du Cinéma … C’est passionnant de raconter une histoire qui se déroule sur plusieurs années. C’est un vrai défi. Trouver la bonne narration, les bonnes ellipses. Il faut que le temps passe de manière naturelle, trouver les bonnes périodes. Les mots parfois pouvaient remplacer les images. Le spectateur d’aujourd’hui est tellement habitué à la fiction, que nous pouvons nous permettre ce genre d’ellipse importante. Le spectateur aujourd’hui est aussi scénariste, il peut reconstituer les manques du scénario. On peut aller au minimum d’informations pour aller maximum d’émotions. Le premier temps est celui de la fusion, de l’osmose. »
- Liberté.
« Nous avons pris des libertés, mais l’esprit reste relativement fidèle. Beaucoup de choses ont été inventées, les dialogues … Mais les garçons se sont pour autant reconnus. Elle aussi, se positionnant du coup presque comme la méchante de l’histoire. Le rapport à la réalité est important dans un film, il y a malgré tout une exigence du spectateur. Nous sommes dans une fiction, je peux me permettre d’extrapoler, j’ai toujours assumé que ce film était ma propre vision de cette expérience et l’histoire, je ne suis pas un porte-parole. Mais il fallait inventer sans trahir. »
- Kassovitz.
« J’étais convaincu qu’il était ou serait le personnage. De ce que je connaissais de lui, j’étais convaincu qu’il pourrait s’identifier à ce père de famille. Le spectateur lui aussi devait l’identifier directement par sa radicalité. Il fallait qu’il passe pas une transformation physique, il est assez loin malgré tout de cet univers. »
- Les difficultés.
« Rien a été facile a tourner, cela a été vraiment difficile. L’été a été chaud, l’hiver assez violent. Nous avons tourné dans des coins reculés, il fallait parfois marcher assez longtemps avec du matériel assez lourd sur le dos. Tourner avec des enfants ce n’est pas simple, avec des animaux c’est très compliqués … Et avec des acteurs non plus (rire). Et puis il y avait des semaines et des semaines de repérages. On tournait souvent dans des endroits où il n’y avait pas de réseau téléphonique, alors imaginez pour une équipe de cinéma c’est un grand traumatisme.. C’était une aventure, il fallait que notre rythme de tournage accompagne ce que nous voulions raconter. Mais il fallait que les gens acceptent parfois de rompre avec leurs habitudes. La crainte passée, ils étaient heureux d’avoir vécu cette expérience, d’avoir découvert une nouvelle façon de travailler et de faire du ciné »
- Changer de style.
« J’ai l’impression que dans ce film-là il y a beaucoup d’éléments de mes précédents films. Mais ces impressions ne se font que durant ce genre d’interviews. Je n’en n’ait pas pendant le tournage. J’essaye bien sur de ne pas me répéter. Pour moi la différence était dans ce qui nous entourait au quotidien, le cérémonial du cinéma n’existait plus: il n’y avait pas de clap, pas de silence, pas de maquilleuse. Les enfants tournaient alors que les caméras n’étaient même pas encore prêtes, ils avaient un tel enthousiasme à faire les choses, ils donnaient le rythme, il fallait aller vite. Tout cela devenait très moderne, on ne faisait plus du cinéma mais nous filmions des enfants dans leur énergie. C’était une petite équipe, sans projecteurs, sans grosse machinerie. Les caméras étaient dans des sacs à dos, on attendait la bonne lumière. Il fallait parfois attendre deux heures. Il n’y avait plus de différence entre les moments où il fallait jouer devant la caméra et les moments d’attentes, tout était fluide, une vraie vie sauvage, on pouvait s’amuser avec les enfants. Je donnais comme consigne de ne pas apprendre en avance les dialogues. Il fallait du naturel, du vivant, les caméras étaient là pour capter cette énergie. »
E.A – Interview réalisée le 20/10/2014